Startseite
Französisch
Littérature - Forschung


en littérature comparée, Université de Toulouse-Le Mirail, 1992. 

L'irlande, l'île de Heinrich Böll et Michel Déon.


Première partie.

 

1

 
Pour une mouette, l’île vue du ciel offre ses contours, ses secrets, ses rondeurs. L’oiseau y cherche où se poser, repère une plage, une crique, un rocher. Formée de parcelles de vert, d’ocre ou de noir, de petites touches de rose et de pourpre, l’île a la forme d’un papillon qui déploie ses ailes sur la mer.

Jeanne Marie Paille a apporté une toile et ses peintures sur la terrasse de l’hôtel. Le serveur, en la voyant arriver, repart dans la cuisine. Quand il réapparaît sur la terrasse, il porte sur un plateau une théière, une tasse et un petit verre de rhum ambré. Madame Paille le salue d’un hochement de tête et continue à peindre la vue sur la mer, vers le Sud. Le serveur prend pour une lubie cette idée de vouloir toujours peindre ce coin de mer et de ciel, où rien, pas un rocher, ne vient gêner le regard. Mais les toiles de la doyenne de l’île sont pleines de couleurs, le ciel est doré, les nuages lourds de pluie, la mer est chatoyante. Le serveur ne voit pas tout cela. Parfois, il observe un peu mieux le tableau, il croit voir une terre à l’horizon, ou un monstre dans un nuage... Il retourne à sa cuisine.

Ce soir, Madame Paille est restée longtemps sur la terrasse de l’hôtel. Comme si elle attendait quelqu’un, une nouvelle ou peut-être un événement. Puis elle a rangé ses affaires, a bu d’un trait le verre de rhum, et est repartie chez elle. Elle a descendu le chemin vers le carrefour, c’est à ce carrefour que se dresse sa maison. Une belle maison de granit avec des volets rouges, posée comme une sentinelle à la croisée de trois chemins. Ces chemins mènent au village, ou vers l’hôtel, ou encore vers les criques de l’île, à cette heure, désertes.

Les toiles de la vieille peintre sont accrochées dans toute sa maison. Certaines sont posées dans un coin, sous l’escalier, alignées les unes derrière les autres, s’épaulant presque. Les couleurs sont vives, le pinceau a travaillé dans la matière, les mains de la peintre ont mélangé à même la toile le rouge et le noir. Des traînées d’ocre - les ajoncs, des pointes de rose - la bruyère, dessinent l’île comme une mosaïque, sur les murs de la maison.


livre pour enfants. Illustrations de Séverine Dalla



Conte imaginaire pour enfants de 8 à... ans ! Voici un extrait du premier chapitre.

.La mouette

 

Depuis son huitième anniversaire, Louis sent grandir en lui le goût pour  l’aventure. Il dit qu’il partira un jour, à la poursuite d’un corsaire, d’île en île, dans l’Océan Indien. Il dessine souvent son bateau, sous tous les angles, une belle goélette, aux voiles rouges.

Louis vit dans une vieille maison, riche en souvenirs de toutes sortes, prêts à se laisser dénicher. Il a déjà cherché partout, ils sont peut-être dans une malle dans la grange, dans un coffre dans la cave à vins ou bien sous l’escalier, au milieu des fagots. La maison est située dans le Périgord noir, là où les truffes se cachent aussi bien que les trésors, - à la différence près que les chiens et les cochons ne trouvent jamais les trésors, mais qu’ils déterrent les truffes … Elle est bâtie au milieu de la forêt de châtaigniers, à cinq kilomètres du village où Louis va à l’école.

 

Mais partir tout seul à l’aventure, ce n’est pas vraiment le rêve de Louis. Il aime les équipes, les compagnons de route, les vrais amis. À son âge, Louis  a déjà décelé une chose importante : la différence entre un bon copain et un vrai ami. Louis l’a compris le jour où il a joué avec Noel et que, fatigués d’avoir couru après le ballon dans le champ, ils se sont tous deux assis sur le canapé. L’un a feuilleté un magazine de foot, l’autre une BD, sans rien dire, côte à côte, tout tranquilles…  Mais Noel habite au village, et remonter la côte à vélo après une journée de foot, c’est vraiment épuisant, même si Noel est un vrai ami.

 

La majorité des copains de l’école habite au village, qui porte le drôle de nom de Saint-Lonlon.  Dans la vallée où habite Louis, il n’y a que la ferme Delsol, et depuis quelques semaines la grand-mère Delsol a sa petite-fille avec elle. C’est une fille toute blonde, qui vient de Toulouse, mais ses parents sont en voyage en Chine pour trois mois.  Mousse –quel nom ! Il paraît qu’elle s’appelle Marie-Sophie – va maintenant à l’école à Saint-Lonlon, dans la classe de Louis. Elle dessine très bien, et cela énerve les autres filles, sinon elle a toujours quelques idées farfelues dans la tête, comme de vouloir jouer avec Louis, puisqu’ils sont presque voisins.

 

Louis joue aussi beaucoup avec son petit frère Antoine, ils inventent des glaces à l’oseille et Antoine remplit des bols dans le jardin de lavande, de jasmin et de pissenlits, avant de prendre le tuyau d’arrosage… Louis goûte bien sûr avec un grand sourire les inventions d’Antoine, mais il n’a plus envie d’avoir les pieds, les manches et les chaussettes trempés… Un soir, il a cependant réussi à faire cuire une omelette pour Antoine, dans la cuisine. Sa mère était ravie !

-         Tu pourrais survivre sur une île déserte, Louis, maintenant que tu sais faire une omelette !

 

Un jour, pendant les vacances de Pâques, il avait plu toute la matinée, un orage de fin d’été. Louis était resté  derrière la fenêtre à regarder les gouttes remplir les bols d’Antoine.  Vers midi, quand son frère a fait sa sieste et que sa mère s’est remise à l’ordinateur pour ses traductions, la pluie a enfin cessé. Louis est tout de suite sorti, habillé de son ciré jaune. Il a alors ramassé des bouts de bois et, les genoux dans la boue, il les a mis à flotter dans une flaque.

-         Capitaine, un bateau corsaire ! Il arrive droit sur nous ! A l’abordage !

Mais soudain, Louis sursaute. Un poids s’est posé sur sa tête, quelque chose d’inconnu, avec des sortes de griffes qui lui tirent les cheveux.  Louis ne joue plus, il n’ose pas crier. Ses yeux en amande se sont arrondis. Puis sa tête est libérée d’un seul coup.

-         Quoi ? Mais qu’est-ce que c’était ?

A sa question, une petite voix, fluette, répond :

- Tu sais où est partie Claudine ?

Au bout de l’allée, Mousse est apparue, les cheveux toit de chaume,  vêtue d’un grand imperméable rouge et chaussée de bottes roses.

-         Claudine ? demande Louis.

La fille rit.

-         Une mouette. Elle était sur ta tête.

Tout à coup, Louis comprend. Une mouette, une mouette venait de se poser sur sa tête. Une mouette ? Mais la mer est loin... Louis ne comprend pas ce qu’une mouette peut venir faire par ici, au milieu des forêts. Il se tourne vers Mousse :

-         Tu es sûre que ... ?

Mais la fille a déjà disparu, comme par enchantement. Décidément, pense Louis, elle a de drôles d’idées. Ce n’était sûrement pas une mouette, une palombe plutôt !

 

Le lendemain, Louis prend le chemin qui descend derrière la grange et s’enfonce dans les bois. Il a coiffé son chapeau de pirate et on est en droit de se demander s’il veut aller au port, embarquer sur sa goélette… puisqu’il y a des mouettes en pleine forêt, maintenant !

Louis avance doucement, il se sait entouré de petits animaux car les feuilles crissent et bougent à son approche. Il descend au lavoir, où l’eau est si fraîche que, lorsqu’on y trempe les pieds, ils sont très vite bleus de froid. Plus personne n’y vient laver le linge comme autrefois.

Arrivé en bas, Louis se déchausse et fait trempette, remuant la vase au fond du bassin mal entretenu. Puis il s’assoit sur la pierre lisse et polie par les lessives d’antan et laisse sécher ses pieds. Un petit caillou rond tombe soudain devant lui, un caillou qui l’éclabousse froidement et qui vient du toit. Tout en haut, perchées sur une barre, la fille et la mouette le regardent d’un même œil rond et joueur.

-         Salut ! lance Mousse, toujours habillée de rouge et de rose.

-         Te revoilà, dit Louis. Et encore la mouette !

-         Ben oui, dit-elle.

La fille descend d’un saut près de lui. Louis se lève bien vite. Il court pieds nus dans les hautes herbes, jusqu’au grand trou. L’eau pure et claire jaillit des grosses pierres et les libellules effectuent tout autour un ballet automatique. Il s’installe au soleil dans l’herbe. Mousse le rejoint et s’installe aussi au soleil, pas trop près quand même.  La mouette s’approche et soudain, se pose sur la tête de Mousse. Louis demande :

-         Alors hier, c’est elle qui était aussi sur ma tête !?

-         Claudine ? Oui, oui.

-         Et d’où elle sort ?,  interroge Louis.

-         Aucune idée.  Je jouais dehors et elle s’est posée sur ma tête... alors quand elle est repartie, je l’ai suivie. Et elle est allée chez toi.

-         Ah. Et pourquoi tu l’appelles Claudine ? demande Louis.

-         Ça lui va bien, je trouve...

Mousse sort de son sac à dos des pinceaux, une boîte de peinture et un bloc de papier.

-         J’avais envie de peindre, mais si tu es là, je préfère jouer avec toi.

La tête catastrophée de Louis fait rire Mousse. La mouette rit aussi, d’un cri joyeux et portant très loin. Louis sourit.

-         Oh, une mouette rieuse, Papa m’en a déjà montré dans son livre, mais je ne savais pas qu’elles riaient vraiment.

La mouette, à ce moment, se met à voler au-dessus de la rivière qui sort de la source et traverse le lavoir.

-         Elle repart ? demande Louis.

-         Non, elle veut peut-être nous montrer quelque chose, tu viens ?

Et déjà, Mousse est debout et a mis les pieds dans la rivière.

-         Tu suis une mouette ? ricane le garçon.

-         Et pourquoi pas ? Alors tu viens ?

Louis hésite un peu. Il a remis ses bottes jaunes. Louis fait quelques pas dans la rivière, il a d’autres idées en tête que de suivre un oiseau.


La partition

Comme si c’était une partition écrite pour un autre instrument.

Tu essayes de la jouer et tu n’y comprends rien, on t’écoute et on perd patience. Mais tu t’accroches. Accroche-toi et plonge !

Une langue étrangère, étrange aussi. Avec des points sur les a, les o et les u, un drôle de B majuscule qui a une jambe, des majuscules par ci par là en plein milieu du texte… et des mots élastiques, si longs, qu’il faut savoir où couper les syllabes pour en venir à bout. Y arriveras-tu ? Répète, répète, prends les mots comme ils viennent et engrange-les. Fais des listes, comme lorsque tu étais petite et que tu voulais faire la liste de tous les mots que tu connaissais. T’en souviens-tu ? Pendant des semaines, à chaque récréation, tu étais assise dans un coin de la cour et tu écrivais sur des feuilles volantes tous les mots qui te passaient par la tête. Tu as appris bien des choses ce faisant. Tu as découvert des systèmes : par ordre alphabétique, par registre, par famille de mots, tu as conjugué un verbe, à tous les temps, tu as noté toutes les couleurs, tous les pays et toutes les pièces de la maison… Tes camarades te regardaient, perplexes. Ils t’aidaient aussi, te donnaient leurs mots à eux, pour qu’ils soient enregistrés, et qu’ils prennent vie sur cette feuille, sous ton écriture. Et puis, il a fallu arrêter. Pourquoi ? Tu n’avais plus de mots en réserve ? Tu avais tout écrit ? Non, le problème, c’est que tu ne savais plus ce que tu avais écrit sur les premières feuilles… tout s’embrouillait. Quelle découverte !

N’oublie pas ton cauchemar… Quel âge avais-tu ? Dix ans ? Onze ans ? Ou douze ? Les mots t’assaillaient, te tombaient dessus, ils se déversaient venus du ciel et te remplissaient, tu te débattais, les mots se multipliaient. Les mots. Seuls : menaçants, alignés : reposants. Les mots qu’il faut enfiler comme les perles d’un collier pour les magnifier et leur donner tout leur sens.

Les mots étrangers, comparer, traduire, ressentir, essayer de vivre le mot soledad dans sa plus profonde aspiration. Et tu es partie sur les chemins de l’apprentissage des langues, de dondé estas ? et les aventures d’Ivan Ivanovitch, ou de John and Betty are going to school… Tout un système, cohérent, époustouflant, comme les poupées russes, dont on ne se lasse pas d’ouvrir les têtes, et qui donnent à la fin au curieux toute la saveur de la miniature, du petit mot caché, de la vraie découverte en finesse d’une langue qui se dérobe tout d’abord.

L’espagnol, l’anglais, le russe… des mondes qui prennent des couleurs, des paysages qui s’avancent, qui forment dans ta tête la carte du monde, rempli de sonorités. Le bonheur d’apprendre à déchiffrer ce nouvel alphabet russe. D’en découvrir les sons, les chuintantes si parfaites. Des années après, alors que tu n’as plus utilisé cette langue dans laquelle pourtant tu étais capable à une époque de raconter la vie de Pouchkine, ah mietiel, la tempête de neige ! tu peux encore lire tout un texte, le déchiffrer sans problème, et ne rien comprendre…

Tu es assise, le soleil touche ton pied droit et le réchauffe. Dans le jardin, la lavande embaume après l’averse du matin. Les nouvelles roses, plantées cet automne, ont laissé apparaître leurs premières fleurs, d’un carmin délicat. Le chèvrefeuille a fané et deux chaises dans l’herbe attendent qu’un visiteur arrive, avec un verre à la main.

Tu joues avec les mots et tu te bats. C’est comme une bataille que tu dois gagner, même s’il faut y revenir cent fois, même s’il faut contrôler dans le dictionnaire, répéter la phrase à haute voix. Et pendant ce temps, alors que tu déroules la musique de ta langue maternelle, la langue allemande résonne autour de toi, dans la cour. Et tu voudrais fermer ton esprit à cette autre langue, garder ton jardin personnel, le protéger de tous ces mots que tu entends et que tu ne peux plus ne pas comprendre ! Tu voudrais fermer ton esprit, boucher tes oreilles, tu voudrais rester impassible, et tu ne le peux plus ! La langue allemande est devenue compréhensible, il te manque rarement un mot, rarement tu ne comprends pas ce qu’on te dit, et si cela arrive c’est une question de prononciation, d’accent, et non de vocabulaire. Voilà, tu es entré dans ce monde des a, o et u avec des trémas, ton cerveau en a enregistré les contours, les combinaisons, la logique et la précision. Même si, tu le sais, il reste des imperfections si tu dois t’exprimer, ah on l’entendra toujours ton petit accent français, mais pourquoi vouloir s’en défaire ? Savez-vous que les hommes allemands le trouvent érotique, ce petit accent ? Comme un cheveu sur la langue, un grain de beauté dans le cou, une mèche qui tombe sur les yeux…

Tu vis en Allemagne et ce mot Allemagne pour toi n’a plus la même texture que lorsque tu étais au lycée en France. Tu n’entendais parler de ce pays que dans les cours d’histoire, tu n’avais aucune idée de son paysage, de sa langue, de ses habitants. Et plus tu plonges dans ce pays, moins tu peux le décrire. Au début bien sûr, les différences s’exaltent, on peut toucher du doigt la germanité. Enfin, on la voit partout, et on exacerbe sa propre francité… Peut-être est-ce en étant de ce côté-là du Rhin, que l’on peut sentir ce qui en nous est français. C’est un autre découpage du temps dans la journée. Quand il est dix-huit heures et que les invités partent à toute allure pour faire manger les enfants… Quand il n’y a le soir pour tout dîner que du pain et de la charcuterie, à longueur de jours toute la semaine… On se sent tout à coup comme des êtres frivoles, qui mangent tard et aiment la variété, qui s’offrent un petit repas chaud le soir, en famille. N’est-ce pas tout de même bizarre, après autant d’années passées d’un côté et de l’autre du Rhin, de garder les habitudes apprises dans l’enfance ? Enfin, tu n’es pas si sectaire. Mais curieusement, on s’attache à ces détails qui évitent que l’on perde un peu de son moi originel. Même si on aime jouer avec la nouveauté, et qu’on choisit chez le charcutier une assiette anglaise ( !) bien garnie et chez le boulanger plein de petits pains ronds au sésame, au pavot et au gros sel… sans oublier le bretzel pour les enfants.

Le petit accent de la Française… ce n’est pas que cela. C’est aussi une façon de s’habiller, d’aller vers les gens, même si on oublie peu à peu l’habitude de faire la bise, et qu’on comprend enfin la tendresse d’une poignée de mains… Alors que les Allemands eux apprennent à se prendre dans les bras l’un de l’autre, se donnent l’accolade et se font enfin la bise, et le monde autour de soi devient plus palpable, moins à distance.

L’Allemagne. Ce sont des vallons verts et de grandes autoroutes qui montent et qui descendent. Des clochers bulbes, des saucisses grillées et des géraniums aux fenêtres. N’importe quoi. Ces images-là, ce sont des impressions de débutants. Il faut entrer en profondeur, avoir vécu la chute du mur et la coupe du monde de football en direct, avoir aimé quelques hommes allemands et discuté bien des heures avec eux tous. Avoir écouté les bonheurs et les interrogations des amies allemandes, entendu tes fils parler la langue de papa et leur faire apprendre leur première dictée – en allemand, voilà ce qui t’a forgée, qui a fait de toi sûrement une étrangère dans ton pays. Il est possible que tu te sois germanisée. Que tu aimes cette habitude de montrer l’exemple aux enfants et de ne pas traverser aux feux quand c’est rouge pour eux… avant, sans enfants, tu trouvais cela si discipliné. Mais il y a des disciplines qui te conviennent, qui ont pris du sens…

C’est une autre partition, c’est toujours le même instrument. Et pendant que les mots relativisent le monde, pendant que, petit à petit, tes enfants comprennent que le monde est pluriel, différent, tu sens aussi tout au fond de toi que l’essence, l’extrait vivant du monde, reste le même, en français, en allemand, en anglais, en espagnol ou en russe… C’est une autre partition, l’instrument sonne juste, à chaque fois.

P. rousseau